Critériologie de l’art naïf

Pour mieux comprendre l’art naïf, ses spécificités et sa profondeur, il est un livre merveilleux que je vous recommande : Critériologie de l’art naïf, de Robert Thilmany, en vente auprès du musée international d’art naïf de Vicq.

En voici quelques passages savoureux, pour vous mettre l’eau à la bouche et faire de vous des naïfologues avertis !

« On comprend mieux, dès lors, l’aspiration générale à la bouffée d’air pur, au retour aux sources, pour échapper à l’asphyxie de la redite, de la banalité ou de la cérébralisation desséchante, trop fréquentes de nos jours. On s’explique mieux aussi une certaine nostalgie du bon vieux figuratif de jadis, de l’intérêt grandissant pour ce qui était considéré jusqu’ici comme le parent pauvre, mais qu’une indéniable originalité et personnalité révèle actuellement de plus en plus comme un art authentique : l’Art Naïf. »

« Qu’il soit charmé, amusé, interrogatif, inquiet, curieux ou autre- paraît être le premier réflexe visuel du spectateur. Devant cet art si souvent désarmant de bonhomie, de candeur d’âme, de simplicité ingénue ou ingénieuse, de drôlerie ou de sentimentalisme attendrissant, on est avant tout étonné. »

« Le pays d’élection des naïfs, c’est le pays de Cocagne, de l’illusion et du rêve ; c’est le réel traité par l’idéal. A moins que ce ne soit l’idéal traité par le réel… En tout cas, un réel et un idéal transcendés par l’invention personnelle. »

« L’art naïf, au contraire, sous son apparente désinvolture, témoigne de conventions techniques et optiques nettement élaborées, appuyant délibérément une formulation expressive, allégorique, existentielle, commémorative, symbolique ou autre. »

« La simplification, caractéristique de tous les « primitifs », est aussi un des moyens de dépassement dont se sert d’instinct le naïf. En partie, certes, pour tourner parfois certaines difficultés techniques, mais plus souvent pour charger les œuvres d’un pouvoir signifiant, voire totémique, plus direct. »

« A l’abri de leurs conventions plastiques : ciels festonnés, paysages idylliques, nuages moutonnants, feuillages stylisés, perspectives rabattues ou murales, allures caricaturales, empesés ou débonnaires, graphisme scolaire, schématismes formels, etc…les naïfs affrontent sereinement l’invraisemblable, défient candidement la logique, subliment le quotidien ou poétisent le banal. Tour à tour familiers ou secrets, bavards ou laconiques, appliqués ou négligents, truculents ou sentencieux, ils réalisent l’exploit d’être - et parfois en même temps !- les « primitifs » du cérébral, les mystiques du réel et les réalistes de l’idéal. »

« La présence d’une certaine transcendance est indispensable à l’œuvre de qualité pour la porter au-delà du décor, de l’illustration et du folklore. C’est le prix que doit payer également le genre naïf s’il veut s’élever jusqu’à cette vision « autre » qui est celle, en fait, de tous les grands artistes. L’absence de métier n’est pas un obstacle… Bien mieux, l’absence de métier activerait plutôt certains pouvoirs de la vision, car la maladresse exalte l’attendrissement… Mais on ne refusera pas que le métier ajoute aussi à la qualité de la recherche, la recherche de la qualité, c'est-à-dire le panache ! »